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LE BOUDDHISME DU SOUS CONTINENT INDIEN

samedi 17 novembre 2018, par Consul Général Honoraire du Népal en France

{{{{{1 LE BOUDDHISME INDIEN}} }}} Après son apparition vers les –VI siècle, le bouddhisme a fleuri en Inde pendant 12 à 13 siècles avant de décliner et finalement de disparaître vers le VIII siècle. Ses véritables origines sont incertaines, perdues à travers les légendes. Dans l’ensemble, l’histoire du bouddhisme indien est très mal connue. Un fait certain est l’expansion du bouddhisme sous le règne d’Asoka (milieu du –III siècle), qui le favorisa après s’être converti. Toute l’histoire de la philosophie bouddhique en Inde est sans doute solidaire de l’histoire politique. 1{{.2. Le Bouddha et ses successeurs}} Le Bouddha a révélé la Loi (dharma) et établit la communauté (le samgha). Le bouddhisme ancien est avant tout une doctrine de moines, puisque seuls les moines peuvent parvenir à la délivrance. Après la mort du Bouddha, un concile de 500 Arhats fut réuni à Rajagrha par Mahakasyapa, homme hautement estimé du Bouddha mais d’un caractère rigide et intolérant. Ananda, le fidèle disciple du Bouddha, seul à avoir entendu et mémorisé tous les discours du maître, ne pouvait y participer : bien que parfaitement au point sur la théorie, il n’était pas arhat. Il se retira dans la solitude et atteignit très vite cette condition d’arhat. Il deviendra ensuite le personnage principal du samgha jusqu’à la fin de sa vie. Le bouddhisme s’étendit vers l’Ouest. Les divergences doctrinaires se multiplièrent et 100 ans après la mort du Bouddha, un nouveau concile de 700 arhats fut réuni pour circonvenir une crise. Mais les dissensions continuèrent en s’aggravant et différentes « sectes » existaient déjà vers -350. Cependant, les relations entre ces sectes n’étaient généralement pas mauvaises. De plus la rivalité poussa l’ensemble du mouvement bouddhique à un approfondissement doctrinal. Le moine Mahadeva proclama cinq points sur la condition de l’arhat (il peut être séduit en rêve, il a encore de l’ignorances et des doutes, …) qui rabaissa le niveau de cette condition. Très vite, la communauté se divisa entre partisans (Mahasamghika) et adversaires (Sthavira) de Mahadeva. {{1.3. Asoka}} Le grand évènement de l’histoire du bouddhisme fut la conversion d’Asoka, qui régna de -274 à -236. Bien qu’il prit le pouvoir grâce à un fratricide, il fut le plus vertueux des souverains de l’Inde. Il se convertit au bouddhisme à la suite d’une guerre impitoyable. Malgré sa grande dévotion pour le Bouddha, il fit preuve d’une très grande tolérance pour toutes les autres religions. Il propagea partout le bouddhisme, envoyant des missionnaires jusque en dehors des frontières de l’Inde. Cet élan missionnaire dura pendant les siècles suivants, le bouddhisme gagnant ainsi la Chine (+I siècle) et le Japon (+VI siècle). Sous le règne d’Asoka, les Sthavira connurent une nouvelle division à propos de la théorie que « tout existe », les choses passées, présentes et futures. Les novateurs, Sarvastivadin, se réfugièrent au Cachemire et introduisirent le bouddhisme dans la région himalayenne. {{1.4. Evolution du bouddhisme}} Le bouddhisme original, Theravada, est initialement un mouvement purement philosophique qui se transforma petit à petit pour donner dans le Grand Véhicule une religion pleinement évoluée satisfaisant les aspirations des dévots. Le panthéon hindou est absorbé, transposé, et la conception même du Bouddha se transforme. Toute l’histoire des philosophies de l’Inde est dominée par le dialogue brahmanisme-bouddhisme. L’apparition du bouddhisme a déclenché des polémiques et des discussions sans fin qui ont permit un développement et une mise au clair des concepts du brahmanisme. Le bouddhisme a donc été un ferment pour toute la pensée indienne. Le brahmanisme en sortira vainqueur, approfondi et enrichi par son apprentissage et ses emprunts au bouddhisme. {{1.5. La fin du bouddhisme en Inde}} Au V-VI siècles, la philosophie bouddhiste est encore très vivante. Le problème vient du fossé de plus en plus grand qui sépare le petit nombre de bouddhistes éduqués de la masse non éduquée et attirée vers l’hindouisme. La lutte philosophique avec le brahmanisme continue. Dinnaga est le premier bouddhiste à attaquer sérieusement les problèmes logiques et épistémologiques qu’avait déjà traité l’hindouisme. Ses résultats sont d’autant plus inacceptables pour l’adversaire. Le Vedanta de Sankara cherche à intégrer à sa philosophie la doctrine bouddhique de l’avidya en vidant les phénomènes de toute participation à l’Etre absolu, et par là même de toute réalité. Malgré cela, Sankara se présente comme l’ennemi par excellence du bouddhisme. Après le VIII siècle, le bouddhisme ancien déclina rapidement. Avec le Mahayana et le retour des masses bouddhistes aux divinités, les différences avec l’hindouisme sont moins prononcées. Certaines communautés ont fusionné avec la société hindoue ambiante, les autres ont été fragilisées. L’absorption du bouddhisme est surtout facilitée par l’essor des cultes théistes et des sectes dans l’hindouisme. Il a même eu parfois à subir des persécutions. Finalement le bouddhisme disparut de l’Inde, mais survécu sous une forme quelque peu altérée dans d’autres pays, en Chine, au Japon ou au Tibet par exemple. Seule à Ceylan la secte des theravadin survécu jusqu’à nos jours, perpétrant un bouddhisme archaïque fidèle à l’ancienne tradition. L’influence de la secte s’est étendue au Siam, en Birmanie, au Cambodge et au Laos. {{{{{2. LE BOUDDHA}} }}} {{2.1. Aspect historique de la vie du Bouddha}} Il serait né vers -558. De caste noble, appartenant à l’illustre lignée des Gautama, Siddhârta reçoit le surnom de Sakyamuni. Il se marie à l’âge de 16 ans et reçoit une éducation soignée, mais quitte le palais à 29 ans. Après 6 ans d’une vie d’errance et d’ascétisme dans le bassin moyen du Gange, cherchant la délivrance à la transmigration, il vécu son éveil sous un arbre (l’arbre de Boen -523 à 35 ans. A partir de là, il prêcha le reste de sa vie et mourut très malade à 80 ans, en -478. Il se proclame « éveillé » (buddha), guide et maître spirituel. Il reprend alors la route pour transmettre sa découverte, donnant naissance à une communauté de moines mendiants d’origines très diverses. Sa prédication a pour but la délivrance des hommes par rapport à la transmigration. {{2.2. Aspect légendaire de la vie du Bouddha}} La vie historique du Bouddha a été transfigurée à des dimensions mythologiques, comme toujours avec les grandes figures religieuses. Une légende prétend que le boddhisattva (l’ « être à l’éveil ») a choisit lui-même ses parents, sa conception et sa gestation sont immaculées. Le mythe illustre que, dès sa naissance, le Bouddha transcende le Cosmos. Siddhârta reçoit l’éducation d’un prince, et est très brillant. Il épouse à 16 ans deux princesses des pays voisins, dont l’une lui donne un fils au bout de 13 ans. Il s’enfuit peu de temps après la naissance de ce fils (la tradition indienne ne permet le renoncement au monde qu’après la naissance d’un fils ou d’un petit-fils) car il a perdu la joie de vivre en contemplant et méditant sur la vieillesse, la maladie et la mort. Il veut délivrer l’humanité de ces trois maux. Symboliquement, les dieux accompagnent Siddhârta dans le début de son voyage en endormant les gens du palais, ainsi qu’au travers de son écuyer, mais très vite Siddhârta le renvois. Il devient un ascète itinérant sous le nom de Gautama (le nom de sa famille). Durant un an, il reçoit l’enseignement d’un maître brahmanique (et apprend la Samkhya), puis d’un maître yoga, dont il maîtrise également les enseignements très rapidement. Puis pendant six ans, suivit de cinq disciples, il s’adonne aux plus sévères mortifications. Arrivé à la dernière limite, il comprend l’inutilité de l’ascèse en tant que moyen de délivrance. Ses cinq disciples le quittent alors.Il reçoit alors une offrande de nourriture de la part d’une femme, et prend le nom de Sakyamuni. Il s’assoit au pied d’un arbre pour méditer. Là, il subit l’assaut de Mara, « la Mort », qui craint la découverte du Salut, ce qui sonnerait la fin de son royaume. Mais la Mère Terre se porte garante de Sakyamuni lorsque celui-ci la toucha de sa main droite, avec le geste devenu classique de la mythologie bouddhique. Mara est vaincu. Sakyamuni atteint alors l’éveil en trois veilles. Dans la première, il parcourt les quatre stades de la méditation et embrasse les mondes et leur devenir. Dans la seconde, il contemple ses vies antérieures et les existences infinies des autres. La dernière veille constitue la boddhi, l’Eveil, car il saisi la loi qui rend possible le cycle de naissances et renaissances, loi dite des « 12 productions en dépendance mutuelle ». Il découvre aussi les conditions nécessaires pour stopper ce cycle. Il possède alors les quatre « Nobles Vérités », il est devenu buddha, l’«Eveillé ».Mara tente une nouvelle fois Bouddha en lui proposant d’entrer immédiatement dans le parinirvana, ce qu’il refuse car il veut d’abord enseigner sa doctrine. Bouddha retrouve ses disciples, qui se convertissent. Dès lors, les conversions se multiplient, dont deux religieux éminents, Sariputra et Maudgalayana, ainsi qu’un ascète, Mahakasyapa. Le Bouddha fonde des communautés, et voyage beaucoup. Arrivé à l’age de 72 ans, son cousin Devadatta lui demande de lui abandonner la direction de la Communauté, ce que Bouddha refuse. Devadatta essaye alors de le tuer, sans succès. Il crée ensuite un schisme, en prônant une ascèse plus radicale, sans réel succès non plus. Très malade de la dysenterie, il réunit ses fidèles et leur demande s’ils ont encore des doutes au sujet de la Loi et de la Discipline. Nul ne répond. Il prononce alors ses dernières paroles : «C’est à vous que je m’adresse, ô moines mendiants : la périssabilité est la loi des choses ; ne relâchez pas vos efforts ! ». Il s’éteint trois nuits après. Ses funérailles ont suscité de nombreuses légendes. {{2.3. Les contemporains du Bouddha}} Au début du –VI siècle, l’Inde a connu une période religieuse florissante, comparable à la Grèce à la même époque. A côté de la tradition brahmanique existaient de très nombreux ascètes errants de tout types : yogins, magiciens, dialecticiens, matérialistes, nihilistes, … On ne connaît presque rien de la majorité de ces sramanas (« ceux qui font des efforts»). Ils s’interrogeaient tous ou presque sur le mécanisme des transmigrations. Ils usaient de pratiques très diverses, certains se réunissent en sectes, qui dureront plus ou moins longtemps. Les six adversaires du Bouddha étaient tous les six des « chefs de communauté » ou « fondateurs de secte », dont Mahâvîra qui fut, parmi les contemporains du Bouddha, la personnalité religieuse la plus importante, en tant que fondateur du jaïnisme. Le Bouddha considérait Maskarin Gosala comme son plus dangereux rival. Ce dernier était un puissant magicien. Ancien disciple de Mahavira, il fut le chef des Ajivika. Il se distinguait par un rigoureux fatalisme : «L’effort humain est inefficient ». Tout être doit parcourir son cycle à travers 8 400 000 éons, pour qu’à la fin la délivrance se produise spontanément. Les Ajivika allaient nus, et mendiaient leur nourriture. Beaucoup se laissaient même mourir de faim. {{2.4. Nature du Bouddha et les cultes qui lui sont rendus}} Initialement, on n’adressait pas de prières au Bouddha, car il était vain de lui demander des biens périssables et illusoires dont il prêchait sans cesse le renoncement. Mais rapidement des différences apparaissent dans les écoles quand à la nature même du Bouddha. Pour les Sthaviravadin, Sakyamuni était un homme qui s’est fait Bouddha, et par conséquent devint « dieu ». Mais pour d’autres, cette historicité est humiliante. Ils voient Sakyamuni comme un avatar d’un Bouddha existant déjà depuis de nombreux cycles cosmiques. Un culte aux reliques du Bouddha ou des saints (les stupas) apparaît au niveau populaire. On retrouve la même dévotion concernant les statues ou les lieux saints. Les divers objets ou activités appartenant à la vie du Bouddha sont susceptibles de faciliter le salut du fidèle grâce à la grandiose et irréversible action sotériologique de l’Eveillé. Bouddha fut d’abord représenté sous une forme aniconique : la trace de son pied, l’Arbre, la Roue. Puis vers le +I siècle les statues apparaissent. Il rayonne alors de lumière, lumière qui est depuis le Rig Veda l’image de l’esprit. {{3. L’ENSEIGNEMENT DU BOUDDHA}} Le bouddhisme primitif est essentiellement une doctrine de salut, la « voie de la délivrance » par excellence. Il vise à libérer l’être vivant de l’existence, car toute existence est nécessairement pénible, à briser l’enchaînement des vies qui se succèdent sans fin, car on ne meurt que pour renaître. Bouddha emprunte et développe l’analyse des maîtres Samkhya et Yoga, tout en rejetant leurs présuppositions théoriques, en premier lieu l’idée du Soi (purusha, atman). L’Univers, les dieux, la vie, tout n’est qu’ensemble de phénomènes physiques, biologiques ou psychiques en perpétuelle transformation. Le monde est continuellement créé par les actes bons ou mauvais des hommes. Le bouddhisme refuse de voir en une divinité un Dieu créateur, Eternel et Souverain. Les dieux ne sont pas niés, mais ils sont vus comme des sortes d’êtres supérieurs quoique limités. Tout ce qui existe est impermanent (anitya), car tout est « vide » (sunya) de « soi » (atman). Il n’y a pas d’« âme ». Aucun élément n’est permanent, immuable ou éternel, ni dans les êtres ni dans les choses. L’absence d’âme ou de Soi au fond du cœur de l’homme répond à l’absence de Dieu ou d’Etre Suprême au-dessus de l’univers. L’être est définitivement seul. Le bouddhisme est la seule religion dont le fondateur ne se déclare ni le prophète d’un Dieu, ni son envoyé, et qui rejette même l’idée d’un Etre Suprême. Religion sans Dieu, sans âme et sans culte, le bouddhisme prétend faire appel à la raison et à la compréhension, et non à la foi aveugle. Le bouddhisme se veut une thérapeutique de l’esprit et rien d’autre. Le Bouddha attribua sa réalisation et tout ce qu’il acquit et accomplit, au seul effort et à la seule intelligence humaine. La situation humaine est suprême selon le bouddhisme. L’homme est son propre maître et il n’y a pas d’être plus élevé, ni de puissance qui siège, au-dessus de lui, en juge de sa destinée. Le principe de responsabilité individuelle indique que l’homme doit se libérer, par son propre travail et sa propre intelligence, de toute servitude. L’enseignement bouddhiste vise à conduire l’homme à la sécurité, à la paix, au bonheur, à la compréhension du Nirvana. Le bouddhisme n’est pas une philosophie pessimiste, mais plutôt réaliste. Il est tout à fait opposé à une attitude d’esprit mélancolique, triste, sombre et morose, qu’il tient pour un empêchement à la compréhension de la Vérité. La joie est un facteur d’éveil. Le bouddhisme met l’accent sur le savoir, la compréhension, la vision, plutôt que sur la foi (plutôt aveugle) et la croyance. Il n’y a pas de dogme qui doive être cru, la « foi » bouddhique, c’est plutôt la confiance née de la conviction. La question de croyance se pose quand il n’y a pas de vision. Se forcer à croire une chose ne sert à rien, il faut comprendre. La tolérance envers les autres et leurs croyances est primordiale pour la tradition bouddhique. Il n’y a pas de péché selon le bouddhisme : les racines de tout mal sont l’ignorance et les vues fausses. Aussi longtemps qu’il y a doute, perplexité, incertitude, aucun progrès n’est possible. Mais il doit y avoir doute aussi longtemps qu’on ne comprend pas, qu’on ne voit pas clairement. Le Bouddha affirmait qu’il n’y a pas de doctrine ésotérique dans son enseignement. Il était un instructeur pratique et n’enseignait que ce qui apporterait à l’homme paix et bonheur. Il ne s’intéressait pas à la discussion de questions métaphysiques inutiles, qui sont purement spéculatives et qui créent des problèmes imaginaires, et avait sagement mis en garde ses disciples à leur sujet. Il leur avait conseillé de ne s’intéresser qu’aux moyens capables de les faire avancer sur la voie de la délivrance. Une petite liste canonique de sujets proscrits fut établie, dont par exemple : l’éternité et l’infinité du monde ou du « soi », la nature de l’être après sa mort, le régime du saint entré dans le Nirvana, l’anthropogonie, … Malgré cela, bien vite les spéculations intellectuelles se multiplièrent, sur tous les sujets mis à part ceux de la petite liste. Bouddha s’élevait contre l’étalage des « pouvoirs merveilleux » (siddhi), même si lui-même a été amené à effectuer des grands miracles lors de la lutte contre les « six maîtres », ses rivaux. La priorité est donc donnée à la sagesse (prajna). «On est son propre refuge. » « Etre attaché à une chose (à un point de vue) et mépriser d’autres choses (d’autres point de vue) comme inférieures, cela les sages l’appellent un lien. » « L’enseignement est semblable à un radeau qui est fait pour traverser, mais non pour s’y attacher. » {{3.1. Les textes}} Le Bouddha n’a jamais accepté de donner à son enseignement la structure d’un système, et son enseignement était oral. Il est très difficile de différencier des « écrits originaux » du Bouddha, c'est-à-dire écrit par ses fidèles proches, de ceux inventés par les disciples durant les siècles qui suivirent. Les textes canoniques du bouddhisme primitif, écrits en pâli, ont donné lieu assez tôt à des essais de systématisation (textes connus sous le nom Abhidharma) d’une doctrine qui n’avait jamais prétendu être une système philosophique. La « corbeille des sermons » (sutrapitaka) est composé de 4 ou 5 recueils et forme l’ensemble de la doctrine. La « corbeilles de la discipline » (vinayapitaka) forme le code monastique, divisé en 4 parties concernant spécifiquement les moines, les nonnes, les règles générales importantes et les règles générales secondaires. L’ensemble forme un remarquable ouvrage de droit canon. Chaque école ancienne possède sa propre corbeille, avec des différences sensibles, mais sans désaccord profond. Plus tard, un troisième recueil canonique s’ajouta aux deux autres : la «corbeille de la doctrine approfondie » (abhidharmapitaka), qui présente des différences plus notables entre les sectes que les 2 autres recueils. Vers le –I siècle, des traités individuels apparaissent (comme par exemple la Voie de la pureté, et le Trésor de la doctrine Approfondie), des commentaires (par exemple le Grand commentaire), ainsi que de nombreuses œuvres de genre très divers. {{3.2. La première noble vérité : tout est dukkha}} Le mot dukkha, dans l’énoncé de la première noble vérité, comporte évidemment le sens courant de « souffrance », mais il implique en plus les notions plus profondes d’«imperfection », d’ « impermanence », de «conflit », de « vide », de « non-substantialité ». Dukkha est la souffrance ordinaire de la vie de tous les jours. Dukkha est aussi la souffrance causée par le changement. Par exemple, un bonheur s’accompagne forcément, au moment de sa cessation, d’une douleur. Dukkha intervient aussi en tant qu’état conditionné. En somme, tout ce qui est impermanent est Dukkha. « Le monde est un flux continu et il est impermanent » : une chose disparaît, conditionnant l’apparition de la suivante en une série de causes et d’effets. Il n’y a pas de substance invariable. Il n’y a pas de moteur immobile derrière le mouvement. Il y a seulement le mouvement. {{3.3. La seconde noble vérité est Samudaya, l’apparition ou l’origine (de dukkha)}} La cause, le germe de l’apparition de dukkha se trouve en dukkha même, cette cause n’est pas extérieure : « Tout ce qui a la nature de l’apparition, tout cela a la nature de la cessation ». La seconde noble vérité identifie l’origine de la souffrance inhérente à l’existence au désir, à l’appétit ou à la « soif » de nouvelles jouissances (tanha). C’est cette « soif » qui produit la re-existence et le re-devenir. Elle est liée à une avidité passionnée qui trouve sans cesse une nouvelle jouissance tantôt ici, tantôt là, à savoir (a) la soif des plaisirs des sens, (b) la soif de l’existence et du devenir et (c) la soif de la non-existence. Le terme soif comprend non seulement le désir et l’attachement aux plaisirs des sens, à la richesse, à la puissance, mais aussi l’attachement aux idées, aux idéaux, aux opinions, aux théories, aux conceptions et aux croyances. Les termes « soif », « volition » et « karma » ont tous le même sens. Ils désignent le désir, la volonté d’être, d’exister, de re-exister, de devenir, de croître de plus en plus, d’accumuler sans cesse. Dans le bouddhisme le karma prend le sens spécifique d’ « action volontaire ». Toute action qui est appuyée sur une volition produit ses effets. L’acte est comparé à une plante qui produit un fruit. Pour qu’un acte porte à un fruit, bon ou mauvais, il faut qu’il ait été voulu. Il n’est alors même pas nécessaire qu’il ait alors été réellement accompli matériellement. Dans la même logique, un acte complètement involontaire ne produit pas de fruit. La morale bouddhique est donc une morale de l’intention plus encore qu’une morale de l’action. La soif n’est ni la première, ni l’unique cause de l’apparition de dukkha, mais plutôt la cause la plus palpable. Elle n’est elle-même que la conséquence d’autres éléments, faisant partie du cycle des causes et des effets. Tous ces facteurs sont autant conditionnés que conditionnant, ils sont tous relatifs et interdépendants. Pour supprimer la soif, il faut suivre la voie aux huit membres, c'est-à-dire cultiver huit vertus : l’opinion correcte, la pensée correcte, la parole correcte, l’activité correcte, les moyens d’existence corrects, l’effort correct, l’attention correcte et la concentration mentale correcte. Un libéré, bien qu’il continue à agir, n’accumule pas de karma, parce qu’il est libéré de la fausse notion de soi. La libération n’est pas lié à une quelconque moralité. La théorie du karma est une théorie de causes et d’effets, d’action et de réaction ; elle exprime une loi naturelle qui n’a rien à voir avec l’idée d’une justice rétributive. La théorie de production mutuelle (ou Production Conditionnée, pratityasamutpada) dit que dans le monde, rien n’est absolu. Toute chose est conditionnée, relative et interdépendante. Elle décrit l’enchaînement des causes et effets expliquant le cycle des vies et renaissances, par l’interdépendance entre l’ignorance, le désir et l’existence. La volonté, comme toute autre pensée, est conditionnée. « Quand ceci est, cela est ; Ceci apparaissant, cela disparaît ; Quand ceci n’est pas, cela n’est pas ; Ceci cessant, cela cesse. » - Par l’ignorance sont conditionnées les actions volitionnelles ou formations karmiques ; - Par les actions volitionnelles est conditionnée la conscience ; - Par la conscience sont conditionnées les phénomènes mentaux et psychiques ; - Par les phénomènes mentaux et psychiques sont conditionnées les six facultés (les cinq organes des sens physiques et l’esprit) ; - Par les six facultés est conditionné le contact (sensoriel et mental) ; - Par le contact est conditionné la sensation ; - Par la sensation est conditionné le désir (la soif) ; - Par le désir (la soif) est conditionnée la saisie ; - Par la saisie est conditionné le processus du devenir ; - Par le processus du devenir est conditionné la naissance ; - Par la naissance sont conditionnées la décrépitude, la mort, les lamentations, les peines, etc. {{3.4. La troisième noble vérité est Nirodha, la cessation (de dukkha)}} Pour éliminer complètement dukkha, on doit éliminer sa racine principale, c'est-à-dire la « soif ». On atteint alors le Nirvana, qui n’est pas une annihilation du soi, parce qu’en réalité il n’y a pas de soi à annihiler. S’il y a annihilation, c’est celle de l’illusion que donne la fausse idée d’un soi. Selon le bouddhisme, la Vérité absolue, le Nirvana, est qu’il n’y a rien d’absolu en ce monde, que tout est relatif, conditionné et impermanent, et qu’il n’y a pas de substance absolue qui ne change pas, qui est éternelle, comme le Soi, l’Ame ou Atman, en nous ou hors de nous. Celui qui a réalisé le Nirvana est l’être le plus heureux du monde. Il est libéré de tous les « complexes », de toutes les obsessions, des tracas, des difficultés et des problèmes qui tourmentent les autres. Sa santé mentale est parfaite. Il ne regrette pas le passé, il ne se préoccupe pas de l’avenir, il vit dans l’instant présent. Il apprécie donc les choses et en jouit dans le sens le plus pur sans aucune « projection » de son moi. Il est joyeux, il exulte, jouissant de la vie pure, ses facultés satisfaites, libéré de m’anxiété, serein et paisible. Il est libre de désirs égoïstes, de haine, d’ignorance, de vanité, d’orgueil, de tous empêchements, il est pur et doux, plein d’un amour universel, de compassion, de bonté, de sympathie, de compréhension et de tolérance. Il rend service aux autres de la manière la plus pure, car in n’a pas de pensée pour lui-même, ne cherchant aucun gain, n’accumulant rien, même les biens spirituels, parce qu’il est libéré de l’illusion du Soi et de la «soif » de devenir. Les possibles imperfections physiologique ou psychologique des délivrés vivants (arhat), et donc d’une déchéance possible, ont été le sujet de grandes controverses entre les diverses écoles bouddhiques. Le langage humain est trop pauvre pour décrire précisément le Nirvana, décevant et trompeur quand il s’agit de saisir la Vérité : « Les ignorants se laissent enliser dans les mots comme un éléphant dans la boue ». Parfois, des descriptions négatives sont utilisées : « l’extinction du désir, l’extinction de la haine, l’extinction de l’illusion » ; « La cessation de la Continuité et du Devenir est Nirvana ». Le Nirvana n’est ni cause ni effet, il est au-delà des causes et des effets. Il y a un sentier qui y conduit, mais le Nirvana n’est pas le résultat du sentier. Le Nirvana est la Vérité Ultime, il ne peut y avoir autre chose après le Nirvana. L’être coïncide avec le non-être. Le Nirvana est équivalent à la transcendance absolue du Cosmos, c’est à dire son anéantissement, comme illustré dans de nombreuses images et symboles. A l’idéal archaïque qui est d’assumer une certaine situation existentielle dans un Cosmos parfait, le Bouddha oppose l’idéal de l’élite spirituelle qui lui était contemporaine : l’anéantissement du monde et la « transcendance » de toute situation conditionnée. Le Nirvana n’est pas un état. L’expression populaire « entrer dans le Nirvana » est donc impropre. Le Nirvana peut être réalisé dans cette vie même ; il n’est pas nécessaire d’attendre la mort pour y parvenir. Le Nirvana est au-delà de la logique et du raisonnement. Un Arhat, au moment de sa mort, peut être comparé à un feu qui s’éteint après que le combustible ait été consommé. {{3.5. La quatrième noble vérité est Magga, le sentier (qui conduit à la cessation de dukkha)}} C’est le « Sentier du Milieu », car il évite deux extrêmes : l’un étant la poursuite du bonheur dans la dépendance des plaisirs des sens ; et l’autre étant la recherche du bonheur qui repose sur la mortification selon différentes formes d’ascétisme. Mais cette discipline du comportement ne suffit pas à déraciner les passions et vices. Les passions et vices, surtout latents, sont plus difficiles à vaincre que les erreurs. Il importe avant tout de bien connaître ses propres ennemis intérieurs et de choisir avec grand soin les armes qui permettront de les vaincre. Le Sentier du Milieu est aussi nommé « le Noble Sentier octuple » car il se divise en huit voies : (1) Compréhension juste, (2) Pensée juste, (3) Parole juste, (4) Action juste, (5) Moyens d’existence justes, (6) Effort juste, (7) Attention juste, (8) Concentration juste. Ces 8 voies sont liées entre elles et chacune aide à cultiver les autres, il faut donc les suivre de concert. Elles se regroupent en 3 groupes : conduite éthique, discipline mentale et sagesse. La conduite éthique (sila ; voies3, 4 et 5) est fondée sur la vaste conception d’amour universel et de compassion pour tous les êtres vivants, ce qui est la base de l’enseignement du bouddha. La discipline mentale (samadhi) compte les voies 6, 7 et 8. L’effort juste consiste à faire obstacle aux états mentaux mauvais, à s’en débarrasser et à cultiver les états mentaux bons. La Concentration juste conduit aux 4 étapes de Dhyana. La Sagesse (prajna) compte les voies 1 et 2. La pensée juste concerne les pensées de renoncement, de détachement non-égoïste, les pensées d’amour et de non-violence étendues à tous les êtres. La voie de la Compréhension juste consiste à comprendre les choses telles qu’elles sont vraiment, c'est-à-dire les 4 nobles vérités. Les 5 empêchements à la compréhension claire, à tout progrès, sont : les désirs sensuels ; la malveillance, la haine ou la colère ; la torpeur et la langueur ; l’excitation et le remords ; les doutes sceptiques. Les 7 facteurs d’éveil sont : l’attention ; l’investigation et la recherche concernant les divers problèmes sur la doctrine ; l’énergie de travailler avec détermination, jusqu’à ce que le but soit atteint ; la joie ; la détente du corps et de l’esprit ; la concentration ; et enfin l’équanimité, c'est-à-dire être capable de faire face, avec calme, sans en être troublé, à toutes les vicissitudes de la vie. Certains auteurs insistent sur le fait que le long combat contre les passions ne peut être mené à bien sans quitter le siècle. Selon eux, il faut renoncer aux liens sociaux, aux biens personnels, à la famille pour mener l’existence de moine mendiant et vagabond. D’autres auteurs, au contraire, indique que la voie du milieu peut être suivie sans quitter sa vie, c’est une discipline de tout les jours qui s’intègrent tout à fait dans une vie active. {{3.6. La doctrine du Non-Soi : Anatta}} La méditation sur les 2 premières vérités mène à la découverte de l’impermanence, la non-substantialité (anatta) des choses et des êtres propres. Contrairement au vedantin, à l’orphique ou au gnostique, le bouddhiste ne se sent pas égaré parmi les choses, mais partage leurs modalités d’existence. Selon la philosophie bouddhiste, ce que nous nommons « être », « individu » ou « moi » n’est seulement qu’une combinaison de forces ou d’énergies physiques et mentales en perpétuel changement, que l’on peut diviser en 5 groupes ou agrégats (skandha). C’est un flux d’apparitions et de disparitions instantanées, il n’y a donc pas d’esprit permanent, immuable, qui puisse être appelé « soi », « âme » ou « ego ». Pendant la durée de la vie, les énergies qui nous constituent naissent et meurent à chaque instant, et pourtant nous continuons à exister sans un Soi immuable et impermanent. C’est une série qui continue sans rupture, mais qui cependant change à chaque instant, comme un fleuve. La mort est l’arrêt complet du fonctionnement de l’organisme physique, mais la volonté, la soif d’exister, est une force formidable, l’énergie la plus puissante au monde. A la mort physique, cette énergie ne cesse pas d’exister, elle permet aux l’agrégats de subsister jusqu’à ce qu’ils se manifestent sous une autre forme physique. Les cinq agrégats sont : {{Le premier agrégat}} de la Matière. C’est l’ensemble des apparences ou du sensible, qui comprend la totalité des choses matérielles, les organes des sens et leurs objets. {{Le second agrégat}} des Sensations, comprenant les sensations physiques ou mentales. Le mental n’est pas vu comme opposé à la matière, c’est un organe comme les autre, percevant le monde des idées plutôt que le monde physique. {{Le troisième agrégat}} des Perceptions. Ce sont les perceptions qui reconnaissent les objets physiques ou mentaux, c’est-à-dire les phénomènes cognitifs. {{Le quatrième agrégat}} des Formations Mentales (samskara), comprenant tous les actes volitionnels bons ou mauvais. La volition est une construction mentale, une activité mentale. Sa fonction est de diriger l’esprit dans la sphère des actions bonnes, mauvaises ou neutres. La volition est ce que le Bouddha appelle karma. Les sensations et perceptions ne sont pas des actes volitionnels : elles n’ont donc pas d’effets karmiques. {{Le cinquième agrégat}} de la Conscience. La conscience est un acte d’attention à la présence d’un objet physique ou mental. La conscience dépend de la matière, de la sensation, de la perception et des formations mentales, et ne peut pas exister indépendamment de ces conditions. Ce que l’on appelle « Je » ou « Etre » est seulement une combinaison d’agrégat physiques et mentaux qui agissent ensemble d’une façon interdépendante dans un flux de changement momentané, soumis à la loi de causes et d’effets. L’idée du Soi éternel est donc une croyance fausse et imaginaire qui ne correspond à rien dans la réalité. Elle est la cause des pensées dangereuses du « moi » et « mien », des désirs égoïstes et insatiables, de l’attachement, de la haine, de la malveillance, des concepts d’orgueil, d’égoïsme et autres souillures, impuretés et problèmes. Les idées fausses de Dieu et d’Ame sont si profondément enracinées dans l’homme, elles lui sont si proches et si chères qu’il n’aime pas entendre et ne veut pas comprendre un enseignement quelconque qui leur soit contraire. La négation du Soi, sujet des transmigrations mais susceptible de se délivrer et d’atteindre le Nirvana, entraîna d’innombrables controverses sur lesquelles Bouddha ne voulait pas se prononcer. Selon lui, ces questions trouvaient leurs solutions dans l’expérience de l’Eveil, elles étaient insolubles par la pensée et au niveau de la verbalisation. Bouddha reconnaissait cependant une certaine unité et continuité de la «personne » (pudgala) : « Le fardeau, c’est les cinq skandha : matière, sensations, idées, volitions, connaissances ; le porteur du fardeau, c’est le pudgala, par exemple ce vénérable religieux, de telle famille, de tel nom, etc. ». {{3.7 Bhavana, la culture mentale}} L’enseignement du Bouddha, particulièrement sa voie de « méditation », vise à procurer un état de parfaite santé mentale, d’équilibre et de tranquillité. Les formes classiques de méditation ne sont pas rejetées, mais conduisent à des états mystiques qui sont des créations et des productions mentales n’ayant rien à voir avec le Nirvana. La culture mentale vise à débarrasser l’esprit de ses impuretés, de ce qui le trouble, comme les désirs sensuels, la haine, la malveillance, l’indolence, les tracas et agitations, les doutes ; et à cultiver les qualités telles que la concentration, l’attention, l’intelligence, la volonté, l’énergie, la faculté d’analyser, la confiance, la joie, le calme, conduisant finalement à la plus haute sagesse qui voit les choses telles qu’elles sont et qui atteint la Vérité Ultime, le Nirvana. La véritable méditation bouddhique, appelée vipassana pour « vision » de la nature des choses, est une méthode analytique basée sur l’attention, la prise de conscience, la vigilance, l’observation. Cette méditation ne fuit pas la vie, elle se fait en rapport avec elle, avec nos activités quotidiennes. Une première étape méditative est « l’attention à la respiration », pour laquelle une position assise est nécessaire. Il s’agit simplement de se focaliser pleinement sur sa respiration normale. L’exercice améliore les facultés de concentration, et procure une grande détente. Les autres formes de méditation peuvent se faire debout, voir même en marchant. L’une d’entre elles consiste à se rendre attentif à tout ce que l’on fait, actes ou paroles, dans la routine quotidienne de la vie. La vraie vie, c’est le moment présent, et non pas les souvenirs ou les projections dans le futur. Le but est de s’oublier complètement et se perdre dans ce que l’on fait. Dès qu’un orateur devient conscient de lui-même et pense « je m’adresse à un auditoire », son discours est troublé et le cours de ses pensées rompu. Toute grande œuvre – artistique, poétique, intellectuelle ou spirituelle – est accomplie dans le moment où son créateur est complètement absorbé dans son action, où il s’oublie absolument, où il est débarrassé de la conscience de soi. Une forme de méditation concerne notre propre esprit. Il s’agit de le regarder en face, posément, et de comprendre ses mécanismes, ses réactions. Il ne s’agit pas d’une attitude critique, ni de juger et de discerner ce qui est juste et faux ou bien et mal. Il s’agit simplement d’observer, d’être attentif, d’examiner. Cela permet une distanciation vis-à-vis des passions et émotions, négatives ou positives. Une autre forme de méditation porte sur les sujets moraux, spirituels et intellectuels. Le moine s’entraîne d’abord à réfléchir perpétuellement sur sa vie physiologique, pour prendre conscience de tous les actes qu’il accomplissait jusque-là automatiquement. Cette lucidité ininterrompue lui confirme la friabilité du monde phénoménal et l’irréalité de l’âme : elle contribue surtout à « transmuter » l’expérience profane. Ensuite, le moine peut aborder les techniques : les méditations (jhana), les recueillements (samapatti) et les concentrations (samadhi). Dans le premier jhana, le moine se détache du désir et en éprouve joie et félicité accompagnées d’une activité intellectuelle. Dans le second jhana, il obtient l’apaisement de cette activité intellectuelle et connaît la sérénité. Le troisième jhana le détache de la joie. Il demeure indifférent, pleinement conscient, et éprouve la béatitude de son corps. Le quatrième et dernier jhana lui fait renoncer à la joie comme la douleur, et obtient un état de pureté absolue, d’indifférence et de pensée éveillée. Les 4 samapatti poursuivent cette purification. Vidée de ses contenus, la pensée est concentrée successivement sur l’infinité de l’espace, sur l’infinité de la conscience, sur la « nihilité », puis atteint un état qui n’est « ni conscience ni inconscience », proche de la catalepsie. Il «touche le Nirvana ». Les samadhi sont des exercices yogiques de durée plus limitée qui servent surtout d’entraînement psycho-mental. Les exercices yogiques doivent être pratiqués pour être complètement compris. Ils expérimentent des états de conscience qui se situent au delà des mots. Toutes les vérités révélées par le Bouddha devaient être «réalisées» à la manière yogique, c’est-à-dire méditées et « expérimentées». On distingue 4 étapes dans la voie de la délivrance : - L’« entrée dans le courant » est l’étape atteinte par le moine débarrassé de ses erreurs et doutes (il ne renaîtra que 7 fois) - L’« unique retour », pour celui qui a réduit la passion, la haine et la sottise (une seule renaissance) - Le « sans retour » pour le moine affranchi complètement des erreurs, doutes et désirs (il renaîtra dans un corps de dieu et obtiendra ensuite la délivrance) - Le « méritant » (arhat), purgé de toutes les impuretés et passions, doué de savoirs surnaturels et de pouvoirs merveilleux (il atteindra le Nirvana dès la fin de sa vie) {{3.8. La morale bouddhiste et la société}} Théoriquement, il n’y a pas de cérémonie ou de baptême pour devenir bouddhiste. Si l’on comprend l’enseignement du Bouddha, si on a la conviction que cet enseignement est la voie juste et si on s’efforce de le suivre, alors on est bouddhiste. Mais, traditionnellement, dans les pays bouddhistes il y a un baptême et une cérémonie d‘intronisation. De même, la tradition a introduit des cérémonies cycliques. La plus grande de toutes les fêtes bouddhiques a lieu le jour de la pleine lune du mois de mai. Elle est connue sous le nom de Vesak, et célèbre la naissance, l’Eveil et la mort du Bouddha. Il n’y a pas non plus de mariage bouddhiste, mais souvent un moine vient prononcer une bénédiction à cette occasion, après la cérémonie civile. Par contre les moines bouddhistes officient aux cérémonies funèbres et y prononcent un sermon de consolation. Le Noble Sentier Octuple s’adresse à tous, sans distinction. La morale bouddhiste induit un respect entre les gens (famille, serviteurs, religieux, …). Il enseigne la non violence et la paix : « Jamais par la haine la haine n’est apaisée ; mais elle est apaisée par la bienveillance. C’est une vérité éternelle.» Le bouddhisme ne considère pas le bien-être matériel comme une fin en soi ; c’est seulement un moyen en vue d’un but plus haut et plus noble. Un certain minimum de conditions matérielles est favorable au succès spirituel. L’enseignement du bouddha touche aux questions sociales, économiques et politiques. Il affirme que la pauvreté est une cause d’immoralité et de crimes. Le bouddha suggère de mettre fin à la criminalité en améliorant la condition économique populaire. Le Bouddha tenait donc le bien être économique pour une condition du bonheur humain, mais un progrès seulement matériel ne rime à rien. Les 10 devoirs du dirigeant : (1) libéralité, générosité et charité ; (2) un caractère moral élevé ; (3) sacrifier tout eu bien du peuple ; (4) honnêteté et intégrité ; (5) amabilité et affabilité ; (6) austérité dans les habitudes ; (7) absence de haine, mauvais-vouloir, inimitié ; (8) non-violence ; (9) patience, pardon, tolérance, compréhension ; (10) non-opposition, non-obstruction à la volonté populaire. {{4. QUELQUES DEVELOPPEMENTS DU THERAVADA}} {{4.1. Monachisme}} Les laïcs sympathisant gagnaient des « mérites », leur assurant une post-existence dans un des différents « paradis », suivie d’une meilleure réincarnation. Un fidèle laïc doit respecter 5 préceptes ou commandements s’abstenir de tuer, de prendre ce qui n’est pas donné, de commettre l’adultère, de mentir et de boire des boissons fermentées. Il leur est conseillé de jeûner avec les moines pendant l’uposadha. Mais leur devoir principal est le don aux moines. La Communauté bouddhique (samgha) est organisée par des règles monastiques (vinaya). La vie des moines est fixée dans les moindres détails, codifiée, dans les « corbeilles de la discipline ». La tradition attribue au Bouddha lui-même la formation, à contrecœur, d’un ordre de nonnes. Elles sont soumises à des règles plus strictes, et doivent respect et obéissance aux moines. Bouddha prétendit qu’à cause de la présence de ces nonnes, la Loi, qui devait durer 1000 ans, ne subsistera que 500 ans. Les futurs moines reçoivent une ordination mineure pour devenir novice, puis une ordination majeure qui fait d’eux des moines confirmés. L’activité des moines se réduisait à la méditation, la prédication et à quelques humbles besognes (aumônes, entretien des huttes, …). Les moines se réunissent le soir à chaque changement de lune pour célébrer l’uposadha. Dans la mesure du possible des conditions climatiques, ils devaient voyager sans cesse, à pied, pour répandre la prédication. Les moines ne portaient que 3 vêtements de grossière toile ocrée, confectionnés avec des haillons ramassés dans la poussière. Les effets personnels étaient réduits au plus strict minimum. Ils ne se nourrissaient que des aliments reçus comme aumône lors de la collecte matinale, et ne devaient prendre aucune nourriture solide entre midi et l’aube du lendemain. Bien que leur vie était austère, les moines ne se livraient à aucune macération inutile. Le succès de la prédication entraîna une affluence de richesse pour la Communauté, sous forme de don, ce qui poussa les moines à la sédentarisation. La vie errante fut rapidement abandonnée au profit des monastères. Ceux-ci devinrent de plus en plus grands et complexes, de plus en plus richement décorés. Même si le régime demeurait très frugal, les moines n’étaient plus obligés de mendier. Mais les cellules individuelles conservèrent leurs dimensions réduites et leur austérité. Presque tous les moines accomplissaient un ou plusieurs grands pèlerinages. Ainsi les relations étaient conservées entre les monastères éloignés. Les enseignements donnés dans les grands monastères étaient très variés, faisant d’eux de vrais centres d’activité culturelle. La puissance économique des monastères et la réputation de sagesse des moines leur permis parfois de jouer un rôle politique. {{4.2. Cosmologie}} Dans l’espace sans bornes sont disséminés des milliards de mondes semblables et tous peuplés par les mêmes sortes d’êtres. Ils ont la forme d’un cylindre : sur le disque supérieur vivent les hommes, les animaux, certains dieux ; dans les enfers souterrain (chauds ou froids), les damnés; dans l’espace au-dessus de la surface du monde, la plupart des dieux. Chaque monde se crée lentement, de lui-même, dure sans grand changement pendant un temps, puis retourne progressivement au chaos originel avant de renaître. Le même cycle recommence ainsi, sans commencement ni fin. La matière est formée des 4 éléments, et de matière dérivée (formes, sons, odeurs, …). Comme tout le reste, la matière n’est qu’un phénomène transitoire dépourvu de véritable substance. Nous sommes dans un univers d’apparence. Le monde physique possède ses lois propres, indépendantes de celles qui, régissant la pensée, obligent les êtres animés à renaître sans fin selon la valeur morale de leurs actes. Ainsi les miracles ont un domaine strictement limité et relèvent plutôt de l’illusion que de pouvoirs réels exercés sur la matière. {{4.3. Les controverses}} La théorie de la rétribution automatique des actes est difficilement conciliable avec la thèse rejetant l’existence du « soi », du principe vital ou de tout autre élément personnel permanent et susceptible de transmigrer d’une vie à l’autre. C’est sur ce point qu’insistèrent les adversaires du bouddhisme. Les différentes écoles apportèrent des réponses très variées. Une importante controverse concerna la « vie intermédiaire », vie brève et crépusculaire séparant la mort de la renaissance suivante, sujet qui suscita un grand intérêt populaire. Les conceptions touchant la nature du Bouddha (simple homme ou surhomme, complètement éteint ou éternel, lui porter un culte ou non ?) ont aussi beaucoup divisé. {{5. LE MAHAYANA, LE GRAND VEHICULE}} Une nouvelle forme du bouddhisme apparaît en Inde vers le début de notre ère, prenant le nom de Mahayana ou « Grand Véhicule ». Ses adeptes considèrent avec dédain la forme ancienne du bouddhisme, qu’ils trouvent très limité et qu’ils nomment Hinayana, ou « Petit Véhicule ». Les sources du Mahayana sont très mal connues, mais ce nouveau bouddhisme a dû dériver d’une secte existante. Les plus anciens ouvrages littéraires sont les prajnaparamitasutra, ou sermons sur la perfection de sagesse. Tous les textes font l’éloge de la perfection (paramita), et de la sagesse (prajna) qui est la vertu essentielle des boddhisattva, et qui consiste en la doctrine de la vacuité universelle (sunyata). Le commun des dévots est très différent de l’élite des penseurs, il y a dont un clivage très net entre les vérités empiriques et la réalité vraie, formant deux registres de pensée suivant la catégorie de gens auxquels on s’adresse. Dans les premiers siècles de notre ère, la doctrine du Mahayana tend à se condenser en une philosophie à laquelle Nagarjuna donne une brillante expression, poussant la théorie de al vacuité universelle à son extrême limite. On sait relativement peu de chose de la vie et de l’organisation des communautés du Mahayana. La secte des madhyamaka, fondée par Nagarjuna, se scinda après quelques siècles d’existence en deux branches, la première accentuant le côté nihiliste, et la seconde (svatantrika) évoluant vers un aspect plus positif. La secte svatantrika se rapprocha et finira par se scinder avec celle des yogacara, l’autre grande secte du Mahayana. {{5.1. La voie du Boddhisattva}} L’essence du Mahayana, par ailleurs très complexe, réside dans la dévotion particulière adressée aux boddhisattva, les « Etres destinés à l’Eveil », c'est-à-dire les futurs bouddhas. A travers eux, le Mahayana a pour but premier de faciliter le salut des laïcs. Les fidèles, plus tolérants, n’ont plus pour idéal l’Arhat solitaire, mais le Boddhisattva, modèle de bienveillance et de compassion, qui reporte indéfiniment sa délivrance pour faciliter le salut des autres. Le Mahayana change radicalement l’idéal de l’adepte : on n’aspire plus au Nirvana, mais à la condition de Bouddha. Toutes les écoles reconnaissaient déjà l’importance des boddhisattvas, mais les mahayanistes lui accordèrent la supériorité sur l’arhat, qui ne s’est pas complètement délivré du «moi» à force de trop développer la Sagesse, au détriment de la Compassion, pour atteindre un Nirvana propre. La carrière du bodhisattva commence en prononçant devant un bouddha le vœu d’atteindre l’Eveil pour mener les êtres au salut. Pour accumuler l’énorme somme des mérites nécessaires à l’acquisition lointaine de l’Eveil, les boddhisattva suivent une voie en 10 étapes appelées «terres » durant lesquelles ils pratiquent à la perfection l’exercice des 10 vertus comme la sagesse, le don ou générosité, la patience, le renoncement, la moralité, l’énergie, l’habileté dans les moyens de salut, la méditation, … Certain bodhisattva furent particulièrement célèbres. A une certaine époque on considéra chacun des grands bodhisattva comme une sorte d’émanation d’un bouddha particulier, historique et plus généralement mythique. Les légendes des bouddhas et boddhisattva sont nombreuses et généralement d’origine populaire. {{5.2. Nagarjuna et la vacuité universelle}} Le Mahayana formula la théorie de la « vacuité universelle » (sunyata) héritière de la « voie du milieu » prêchée par Sakyamuni. Nagarjuna, le «second Bouddha » (150-250), en fit la plus brillante expression. La véritable vie de Nagarjuna est cachée par la légende. Il fonda l’école des madhyamaka, ou « partisans de l’opinion moyenne ». Nagarjuna critique et nie par l’absurde les systèmes philosophiques adverses, démontrant l’impossibilité d’exprimer la Vérité Ultime (paramarthala) par le langage. Les énergies mentales sont captives par le filet du discours. Ainsi tout ce qu’élaborent les théories précédentes du bouddhismes n’existent pas ou ne sont que des vues de l’esprit : skandha, désir, karman, samskrta, impermanence, … Toute la doctrine du bouddhisme ancien est critiquée, et vue comme un enseignement mineur. Nagarjuna prétend donner une nouvelle interprétation de l’enseignement du Bouddha. Celle-ci se résume en la vacuité de substance propre, qu’il identifie avec la loi de production mutuelle, car la relativité d’existence des choses n’est autre que leur vacuité. Nagarjuna est solidaire de la tradition upanisadique. Partant de la loi de « production en dépendance » (ou conditionnée) du Bouddha dont la formule est « cela étant, ceci est », il montre que les choses, s’engendrant mutuellement et se transformant sans cesse, sont vides de nature propre. Etant vides de nature propre, elles sont incapables d’agir et, par conséquent, toute causalité est illusoire, si bien que ni les causes ni les effets n’existent. Ainsi, la loi de production mutuelle elle-même est aussi vide que les choses qu’elle régie. L’origine des phénomènes illusoires, leur cause à laquelle Nagarjuna ne peut échapper, est l’ignorance (avidya). Nagarjuna démontre 8 négations groupées en 4 couples d’opposés : il n’y a ni cessation ni production de quoi que ce soit, ni anéantissement ni éternité, ni unité ni multiplicité, ni venue ni départ. Il montre aussi que le temps n’est qu’une illusion, de même du mouvement et de l’immobilité. Le Mahayana proclame ainsi l’irréalité, l’inexistence en soi des «choses», des dharma. Les choses ne sont ni existantes ni inexistantes, ni composées ni incomposées, mais elles sont seulement vides de nature propre et analogues à une espace vide vu comme un absolu. Sa doctrine de la «voie du milieu» refuse toute affirmation et toute négation pures, elle fait de l’absence de toute réalité propre la réalité absolue, et la seule réalité vraie. Encore plus radical, Nagarjuna nie la différence entre celui qui est lié et le délivré, c'est-à-dire entre Samsara et Nirvana. Sans être la même chose, ils sont pourtant indifférenciés. Le Nirvana est identique à la véritable nature des choses, qui est indépendante de toute autre chose connue directement, dépourvue de toute pluralité, indifférenciée, indéterminée, ineffable, calme. Ce Nirvana est caractérisé par les 8 négations, il est l’aspect incomposé de la transmigration. La Vérité Absolue ne dévoile pas un « Absolu » de type vedantin, elle est le mode d’existence découvert par l’adepte lorsque celui-ci obtient la complète indifférence à l’égard des « choses » et de leur cessation. Nagarjuna a poussé à l’extrême limite la tendance innée de l’esprit indien vers la coincidenta oppositorum. L’idéal du boddhisattva garde sa grandeur malgré le fait que « tout est vide ». Il inspire la charité et l’altruisme bien que, tout en demeurant en Nirvana, il manifeste le Samsara. Il sait qu’il n’y a pas d’êtres mais il s’efforce de les convertir. Il est toujours plongé dans de profondes extases, mais il jouit des objets du désir… La vacuité ne s’oppose pas à la compassion : elle facilite le détachement du monde et conduit à l’effacement de soi. {{5.3. Les autres doctrines du Mahayana}} Le bouddhisme ancien avait déjà enseigné que tout est vide de « soi », mais le Mahayana va plus loin en soutenant que tout est vide de nature propre. La doctrine du « transfert du mérite » (parinama) convie les adeptes à transférer ou dédier leurs mérites à l’illumination de tous les êtres. La doctrine de « l’embryon de Tathagata », assez similaire à l’identité atman-brahman, dit que la nature du bouddha est présente au fond de chaque être, de chaque chose jusqu’aux particules de sable. C’est cette nature qui nous pousse à (re)devenir Bouddha. On retrouve aussi la thèse de l’illusion cosmique (maya) : tout est considéré comme un ensemble d’apparences trompeuses au piège desquelles se laissent prendre les êtres dont l’esprit est obscurci par l’erreur. Asvaghosa introduit le Tathata (« le fait d’être tel »), l’aspect réel des choses par opposition à leur aspect empirique. Elle est à la fois négative en ce qu’elle est au-delà de tout ce qui est conditionné, et positive en ce sens qu’elle englobe toutes choses. Elle est au-delà de toute réalité exprimable, et en cela est vide (sunya). Le schéma causal est assez clair dans la mesure ou le Tathata est une sorte d’absolu qui prête aux phénomènes leur apparence d’être. Ces doctrines austères n’empêchent pas une humanité extraordinaire sur le plan éthique : Nagarjuna s’adresse aux laïcs en prêchant le don, la bienveillance, la patience, la méfiance vis-à-vis des 8 pêchés capitaux, … {{5.4 La secte Yogacara}} L’école des yogacara, « ceux qui pratiquent les méthodes du yoga », fut fondée vers les -400, sûrement par Asangra. Elle est aussi nommée vijnanavadin, « ceux qui enseigne l’idéalisme », désignant le côté plus philosophique de la secte. La doctrine des yogacara se présente comme une vaste synthèse des nseignements bouddhiques anciens et de ceux du Mahayana. Asangra et Asvaghosa en sont les penseurs clef. La doctrine repose que l’affirmation du caractère illusoire de tout ce qui est composé, c'est-à-dire de l’univers dans son ensemble. Etant vides de nature propre, les choses n’existent qu’en tant qu’objets de la connaissance, que phénomènes mentaux et n’ont aucune réalité. Ces phénomènes mentaux laissent des imprégnations, qui réagissent les unes sur les autres et produisent de nouveaux phénomènes conscients, perceptions et idées. Ainsi s’expliquent à la fois la théorie de la maturation des actes et la cohérence de l’univers. Les connaissables ont trois natures propres : dépendante, imaginaire et parfaite. La nature parfaite a pour caractéristique la non-dualité. Asangra voit en elle la quiddité de toutes choses et l’identifie formellement avec la vacuité universelle. Le boddhisattva acquiert la connaissance de la nature purement mentale des choses, ce qui lui permet de se jouer de la réalité illusoire. La pratique des exercices psychiques du type yoga lui permet alors d’agir avec efficacité dans l’intérêt des êtres qu’il désire sauver et dans le sien propre. Le boddhisattva passe par plusieurs phases dans sa compréhension de la doctrine, avant de devoir cultiver les diverses vertus (les 10 terres). Il se débarrasse alors de toutes ses souillures et atteint l’Eveil. A sa mort, au lieu de disparaître dans la béatitude du parinirvana, il pénètre dans une extinction spéciale, dite instable, qui lui permet de rester pour l’éternité en relation avec les êtres plongés dans la transmigration et qu’il a fait vœu de sauver. {{6. LE BOUDDHISME INDIEN TARDIF OU BOUDDHISME TANTRIQUE}} Une vaste synthèse doctrinale a été réalisée vers le VII-VIII siècle. On donne le nom générique de tantra, ou « fil », aux ouvrages fondamentaux de la nouvelle forme religieuse du bouddhisme, elle-même souvent appelée tantrisme. Le bouddhisme tantrique disparut de l’Inde après une assez longue période de prospérité. Le tantrisme emprunte sa base aux sutra du Mahayana, en accentuant les éléments légendaires et fantastiques. Sous l’influence de la religion populaire et de l’hindouisme, il se charge de magie et de dévotion, s’éloignant de la forme austère et rationnelle de ses débuts. Cependant, Le bouddhisme tantrique est très monastique et ésotérique, ses enseignements, jugés dangereux, étant réservés aux seuls initiés. On distingue 4 groupes de tantra, selon qu’ils décrivent les cérémonies (kriyatantra), la conduite des saints (caryatantra), les pratiques mystiques et magiques (yogatantra), ou la mystique considérée comme suprême (anuttarayogatantra). L’hindouisme de cette époque possède aussi ses propres tantra, relativement similaires à ceux du bouddhisme mais reposant sur des bases différentes. Les racines du tantrisme remontent très loin dans la préhistoire de la religion indienne, dans les croyances et les recettes des sorciers et des ascèses passant pour thaumaturges, ainsi que dans la dévotion populaire. La doctrine repose sur le constat que si, d’une part, tout est vide de nature propre et tout est équivalent à tout (identité universelle au sein du monde des illusions), et si d’autre part tout n’est que phénomène mental et illusion, alors l’imagination et l’esprit possèdent un pouvoir sans limite. Le salut n’est atteint que lorsqu’on a complètement assimilé ces vérités.Toutes les pratiques magiques sont ainsi justifiées, de même que parfois, en se basant sur la relativité du bien et du mal, les pratiques les plus scandaleuses. Toute une classe de sorciers bouddhiques, les siddha ou «parfaits», se sont ainsi attachés à transgresser les lois morales et les préceptes bouddhiques, pour mieux affirmer leur affranchissement par rapport au monde des illusions. Suivant une logique similaire, le dualisme sexuel et l’érotisme sont introduits dans la doctrine, prenant à contre-pied les antiques misogynie et chasteté monastique. La réalisation de l’unité fondamentale, sous-jacente à la multiplicité des choses, est très souvent définie comme résultant de l’union de deux principes complémentaires, pas forcément sexuels, mais cette union est souvent représentée comme celle de deux êtres de sexe différent. La béatitude née de la délivrance est assimilée à la volupté érotique. Les exercices psycho-physiologiques du yoga jouaient un rôle très important au sein du bouddhisme tantrique. En les pratiquant, l’initié identifiait son propre corps à l’univers et son esprit à un bouddha ou bodhisattva de son choix. Par le pouvoir de son imagination, l’initié pouvait même créer des divinités. Il utilisait ensuite les puissances surhumaines de ces personnages, liées à des pratiques rituelles et des formules magiques. Il pouvait ainsi méditer sur leur signification et pénétrer au sein de la réalité ultime, c'est-à-dire atteindre le salut. Ces exercices yogiques alliaient les méthodes classiques et de nouvelles, qui utilisaient la parole (avec des récitations de mantra) ou les gestes (mudra, littéralement « sceaux »). Chaque syllabe d’un mantra ou chaque geste possède un symbolisme très chargé. Les mantra peuvent aussi être visualisés dans des mandala de plus en plus sophistiqués. On connaît plusieurs écoles de bouddhisme tantrique : Vajrayana (la plus ancienne), Sahajayana, Kalacakra, … La secte du Sahajayana préconisait des méthodes innées (sahaja), c'est-à-dire la sublimation des instincts et des passions, dont la puissance devait être utilisée pour atteindre la vérité par intuition. C’est de cette secte que venaient les grands sorciers siddha, dont Padmasambhava, l’apôtre du Tibet au milieu du VIII siècle. {{7. JAINÏSME}} {{7.1. Les début du jaïnisme}} Mahâvîra est contemporain du Bouddha. Il parcourait les mêmes régions, était issu du même milieu social et avait la même tendance anti-brahmanique, mais les deux hommes ne se rencontrèrent jamais. Mahâvîra est le seul à avoir réussi à fonder une communauté religieuse qui survit encore de nos jours : le jaïnisme. Comme toujours pour les grands personnages, l’existence de Mahâvîra est largement enrichie de mythes, et les parallèles avec la vie du Bouddha sont nombreux. Il est le dernier d’une longue série de 24 Tirthamkara. Il quitte le monde princier à 30 ans en distribuant tous ses biens. Il abandonne le port du vêtement, et s’adonne pendant 13 ans à la méditation et au plus rigoureux ascétisme. Il obtient finalement l’ « omniscience », une nuit, sous un arbre au bord du fleuve. Il continuera la vie errante pendant 30 ans, prêchant sa doctrine. Il meurt, et entre au nirvana, à l’age de 72 ans, quelques années avant le Bouddha. Le canon jaïna a été rédigé vers les -IV – -III siècles. L’enseignement est caractérisé par un intérêt pour les structures de la nature, la classification et les nombres. Il se distingue également par son ascétisme rigoureux : nudité permanente et nombreux interdits. La doctrine nie l’existence de Dieu, mais pas celle des dieux, qui ne sont pas immortels. Les cycles cosmiques se répètent à l’infini. Infini, aussi, le nombre des âmes : tout ce qui existe (animaux, plantes, pierres, gouttes d’eau, etc.) possède une âme. Tout est régi par le karman, à l’exception de l’âme délivrée. Le respect de la vie est le premier et plus important commandement jaïna. Mais, paradoxalement, la vie humaine est dépréciée. La doctrine partage le pessimisme et le refus de la vie qui s’étaient manifestés dans les Upanisad. Le karman joue un rôle essentiel : il crée la matière karmique qui s’attache à l’âme et la force à transmigrer. La délivrance s’accomplit par cessation de tout contact avec la matière. La méditation de type yogique, pour les moines et nonnes, est la voie pour arriver à cette libération. {{7.2. Le Jaïnisme après Mahavira}} Mahâvîra n’eut que quelques successeurs directs, les derniers omniscients à posséder intégralement les textes sacrés. En –77, une rupture eut lieu à la suite d’une famine : la communauté se divise en Svetambara, ceux «vêtus de blanc», et Digambara, ceux « vêtus d’espace », plus intégristes. Un dernier concile fut organisé au V siècle par les Svetambra, pour fixer la rédaction définitive des textes sacrés. La littérature jaïna est gigantesque, marquée par la monotonie et l’aridité. Il n’y a que très peu d’idées nouvelles par rapport aux concepts formulés par Mahâvîra. La doctrine du « point de vue » soutient qu’à propos de toute chose on peut émettre plusieurs affirmations complémentaires. La doctrine du «peut-être» implique la relativité ou l’ambiguïté du réel. Les actes marquent l’âme à la façon d’une teinte, la doctrine est aussi une sotériologie. L’originalité de la cosmologie jaïna tient précisément dans son archaïsme. Elle a conservé et revalorisé des conceptions traditionnelles indiennes négligées par les cosmologies hindouiste et bouddhiste. En particulier, le Cosmos est anthropomorphique : il est figuré comme un homme debout. Il a une série de paradis, dans la tête, et d’enfers, dans les membres inférieurs. Notre monde se situe au niveau du ventre. Les âmes délivrées rejoignent un des paradis. L’anti-brahmanisme des moines jaïns est un trait constant. Leurs ouvrages ne sont pas en sanskrit car ils veulent se faire comprendre des castes inférieures. Ils se sont donc moins directement opposés au brahmanisme que les bouddhistes. Mais le déclin du jaïnisme est irréversible à partir du XII siècle. Mais il compte encore de nos jours 1 500 000 membres, et grâce à leur situation sociale et à leur distinction culturelle, son influence est considérable alors que le bouddhisme a complètement disparu de l’Inde.